Cette affaire concerne des magasins de nuit et des mariages blancs. Deux dossiers ont été joints. Les prévenus, dont quatre Pakistanais, un Français, un Belge et trois sociétés, avaient créé différentes entreprises dans lesquelles les victimes étaient employées. Elles l’étaient cependant sous le statut d’indépendant. Il s’agissait donc de faux indépendants. Les prévenus ont été condamnés pour traite des êtres humains aux fins d’exploitation économique, mais aussi pour d’autres préventions comme blanchiment, faux en écritures, détournement d’actifs, tentative de mariage blanc, tentative de cohabitation légale frauduleuse, participation à une organisation criminelle, infractions de droit pénal social et trafic d’êtres humains. Six victimes s’étaient constituées partie civile, dont une Indienne, quatre Pakistanaises et une Polonaise. Le curateur de l’entreprise et Myria s'étaient également constitués partie civile.

Le premier prévenu se trouvait en outre en état de récidive légale et avait déjà été condamné par un arrêt de la Cour d’appel de Gand à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois et à une amende de 5.500 euros pour traite des êtres humains en ayant abusé de la position particulièrement vulnérable de la victime et pour la conclusion d'un mariage blanc.

L’affaire a été mise au jour suite à un procès-verbal initial concernant des pratiques de blanchiment. Une enquête subséquente a montré que le premier prévenu s’enrichissait en organisant notamment des mariages blancs. L’enquête pénale démarra suite à des soupçons de relations de complaisance au moyen desquelles des avantages en matière de droit de séjour étaient recherchés, ainsi que de soupçons de faux statuts au sein de sociétés par le biais de faux en écritures.

Pendant l’enquête patrimoniale, un minimum de 288.765 euros et de 15.890 USD de transactions en espèces suspectes a été découvert auprès des personnes physiques et morales concernées. Il s’agissait notamment de l’envoi d’espèces par le biais de sociétés de transfert de fonds, du versement de montants substantiels en espèces sur des comptes en banque, etc.

À mesure que l’enquête progressait, de plus en plus de victimes ont fait des déclarations. Une femme a ainsi déclaré qu’elle travaillait du lundi au samedi dans l’un des magasins du prévenu de 17h à 2h et le dimanche de 12h à 24h. Elle ne gagnait que 700 euros par mois. Il avait également été convenu que le prévenu prendrait en charge les cotisations sociales, mais la victime recevait cependant des rappels de la caisse d’assurance sociale en raison de l’absence de paiement des cotisations.

Une autre victime, un homme, déclara qu’il se sentait exploité et avait demandé de travailler comme salarié, ce que le prévenu refusa. Il se plaignait de devoir habiter avec sa famille dans une seule pièce d’une superficie de 6m sur 3,5m. Il devait y habiter, vivre, dormir et manger avec sa femme et leur enfant âgé d’à peine 2,5 ans. Une petite douche et une toilette étaient disponibles.

En ce qui concerne les propositions de mariage blanc, le prévenu proposait à la victime potentielle de faire le nécessaire pour qu’elle puisse séjourner légalement en Belgique en concluant un mariage blanc. Le fait que l’homme était déjà marié n’était nullement problématique. Un prix de 7.000 à 8.000 euros devait être payé.

Le fait qu’une pression importante était exercée par les prévenus sur leurs victimes est également ressorti des auditions des victimes. Lors d’une rencontre fortuite au bureau de police entre le prévenu et une victime, il lui a été expliqué fermement dans sa langue maternelle le récit qu’elle devait suivre. Le septième prévenu surtout s’est montré le plus agressif lors de l’audition.

La situation de faux indépendants est ressortie des déclarations de la victime qui travaillait comme vendeur dans l’un des magasins. Il y travaillait six jours par semaine et détenait 10% des actions. Il n’avait rien dû payer pour ces actions mais ne possédait cependant pas le livre d’actions et devait restituer toutes les recettes.

Le tribunal a estimé que le juge n’était pas lié par la qualification mentionnée par les parties au contrat, du moins pas lorsque son exécution ne répond pas du tout à sa nature essentielle. Le juge peut alors procéder à une requalification. Dans ce cas, il est apparu que les soi-disant associés indépendants ne fournissaient en réalité rien de plus qu’un travail d’exécution sous autorité, direction et contrôle, faisant naître un droit au salaire et qu’ils remplissaient donc les conditions d’un contrat de travail.

Cependant, le statut de faux indépendant ne constitue pas une exploitation économique au sens de la traite des êtres humains. Des conditions contraires à dignité humaine sont requises. Le tribunal a estimé que ces conditions concernaient tout ce qui avait trait à l’essence de la nature humaine. Selon le tribunal, l’atteinte à la dignité humaine revient donc à la diminution de la qualité humaine d’une personne ou d’un groupe de personnes. Il s’agit de détruire ce qui caractérise la nature humaine, à savoir les capacités physiques et mentales.

Par capacités physiques, il y a lieu d’entendre la possibilité de se mouvoir librement, de pouvoir subvenir à ses besoins, de s’occuper de soi et des autres, en d’autres termes la capacité physique de subvenir à ses moyens essentiels de manière libre et égale. Par capacités mentales, il y a lieu d’entendre la capacité de mobilisation intellectuelle et sociale égale dans une société.

Prenant cela en compte, le tribunal a estimé que les faux indépendants avaient bien été employés dans des conditions contraires à la dignité humaine, et ce notamment par le fait qu’ils ne se constituaient aucun droit à la sécurité sociale, qu'ils ne bénéficiaient d’aucune protection en cas d’accidents du travail, que les faux indépendants étaient largement sous-payés, qu'il était question de menaces, que les faux indépendants se trouvaient dans une situation précaire en matière de droit social et/ou de séjour et qu'ils étaient dès lors totalement tributaires du bon vouloir des prévenus. En outre, les victimes étaient hébergées dans des conditions épouvantables et prestaient souvent d’énormes quantités d’heures.

Les trois circonstances aggravantes (abus de la situation vulnérable, activité habituelle et organisation criminelle) ont également été retenues.

Les prévenus ont été condamnés à des peines allant d’un emprisonnement d’un an et une amende de 24.000 euros, les deux avec sursis, à un emprisonnement de quatre ans et une amende de 176.000 euros. Les sociétés ont été condamnées à des amendes variant de 600 euros à 612.000 euros. Plusieurs biens immobiliers, 60.000 euros issus des pratiques de blanchiment et des fonds saisis dans les magasins ont tous été confisqués. La fermeture des SPRL a également été ordonnée. Des indemnisations ont été octroyées aux parties civiles. Pour Myria, il s’agissait de 2.500 euros pour le préjudice moral et matériel. Pour le curateur, 1 euro. Les victimes ont reçu respectivement des montants de 750 euros, 25.000 euros, 5.000 euros, 1.500 euros, et 1 euro (2 victimes).

Les principaux prévenus et les trois sociétés ont interjeté appel. Dans son arrêt du 28 novembre 2018, la cour d’appel de Gand a confirmé l’argumentaire du tribunal sur l’exploitation économique. La cour a également confirmé la condamnation pour trafic d’êtres humains. La cour a adapté les peines dans une mesure limitée. Les dommages et intérêts aux parties civiles ont été pratiquement confirmés dans leur intégralité.