Une affaire complexe dans le secteur du transport a donné lieu à des condamnations pour traite des êtres humains. Elle implique un carrousel de détachements frauduleux et d’homicides involontaires.

L’affaire concerne six prévenus, dont deux personnes physiques (les premier et sixième prévenu) et quatre personnes morales (sociétés anonymes). Les deuxième et troisième prévenues sont des sociétés de transport, qui faisaient appel aux mécaniciens et au premier prévenu pour la gestion quotidienne. La quatrième prévenue (société) était administratrice déléguée des deuxième, troisième et cinquième  prévenues (également des sociétés). La cinquième prévenue était spécialisée dans la vente de palettes neuves et usagées. Le sixième prévenu était l’employeur des réparateurs de palettes.

Les six prévenus (dont les deux sociétés de transport) étaient poursuivis pour traite des êtres humains de cinq ouvriers polonais, dont deux sont décédés. Le prévenu principal et deux sociétés étaient également poursuivis pour homicide involontaire des deux mécaniciens polonais décédés. Les autres préventions concernent des faits de coups et blessures involontaires, de non-respect du droit pénal social (absence de déclaration Dimona et non-paiement de rémunération de 168 travailleurs : mécaniciens, réparateurs de palettes ou chauffeurs) et de marchands de sommeil. Le ministère public demandait également d’importantes confiscations.

La mère de l’un des mécaniciens polonais décédés, une intercommunale de gaz et d’électricité et Myria s’étaient constitués parties civiles.

Le 1er avril 2012, la zone de police de Tielt a été appelée pour un début d’incendie dans un hangar. Ce dernier ne servait pas seulement d’atelier, mais aussi de dortoir pouvant accueillir 16 personnes. Lors de l’incendie, neuf Polonais l’occupaient. Deux décès ont été déplorés, deux travailleurs ont été gravement blessés et deux autres ont été légèrement blessés. Même si la cause ultime de l’incendie n’a pu être déterminée, la pièce n’était assurément pas ignifugée et n’était pas connue pour être un lieu de résidence.

Selon l’inspection du travail, les différentes sociétés poursuivies avaient été placées dans un carrousel de détachements pour échapper frauduleusement à l’application de la loi belge. Le personnel était frauduleusement employé simultanément en Pologne et en Belgique, et les travailleurs polonais actifs en Belgique ne savaient même pas pour quelle société polonaise ils travaillaient. Le prétendu sous-traitant polonais n’était en réalité qu’un simple canal pour une main-d’œuvre bon marché employée uniquement en Belgique et donc sous l’autorité du client belge.

Les institutions de sécurité sociale polonaises n’ont pas coopéré pour retirer les documents de détachement A1.

La défense a avancé un certain nombre d’arguments procéduraux (délai raisonnable dépassé, présomption d’innocence violée, nullité de certains des auditions des victimes en raison d’un différend avec les interprètes), tous rejetés par le tribunal.

Le tribunal considère les faits établis, y compris la traite des êtres humains. Le tribunal relève ainsi, se référant à un arrêt de la Cour de cassation du 8 octobre 2014, qu’en l’absence de définition légale ou d’explications dans les travaux parlementaires, la notion de « recrutement » de la prévention de traite des êtres humains doit être comprise dans son sens commun. Il est question de recrutement dès lors que les prévenus ou leurs sociétés ont engagé les travailleurs pour qu’ils mettent à leur disposition leur force de travail. De même, la notion de « conditions contraires à la dignité humaine » n’a pas non plus été précisée par le législateur, ayant trait à l’essence de la nature humaine. L’atteinte à la dignité humaine est donc la «diminution» de la qualité humaine d’une personne ou d’un groupe de personnes, plus précisément la «destruction» de ce qui caractérise la nature humaine, à savoir les capacités physiques (bouger librement, pourvoir à ses besoins, se soigner, etc.) et mentales (les capacités intellectuelles et sociales à mobiliser dans une société).

Des conditions de travail ayant pour conséquence que les travailleurs ne sont plus en mesure de pourvoir à leurs besoins essentiels peuvent être contraires à la dignité humaine, tels qu’un salaire sans rapport avec le nombre d’heures prestées ou la prestation de services non rémunérés, un climat de travail en contradiction avec les normes de bien-être au travail. Ce sont en outre les conditions de travail en vigueur en Belgique qui doivent être prises en considération pour évaluer la situation des travailleurs étrangers.

Le tribunal estime qu’il n’était aucunement question d’une véritable maison d’habitation : les victimes étaient logées dans un hangar, qui servait auparavant de remise pour des bâches ou de fabrique de fromages sans chauffage ni réelle installation électrique et facilités.

Le logement était médiocre et dangereux. Les travailleurs se trouvaient dans une situation de séjour et sociale précaire. Ils devaient prester de très longues journées de travail (plus de 65 heures par semaine 6 jours sur 7) sans compensation et pour un salaire insuffisant.

Les conditions de vie des personnes impliquées font également clairement penser qu’il s’agit d’un marchand de sommeil. Les prévenus ont mis en place une construction dans laquelle il était clair que le hangar servirait de lieu de séjour, alors que la législation en vigueur ne le permettait pas. De nombreux travailleurs n’ont pas non plus été signalés en Dimona et/ou n’ont pas pu fournir de documents corrects de détachement.

Le premier prévenu porte la responsabilité principale et a été reconnu coupable d’homicide involontaire, de coups et blessures involontaires et de traite des êtres humains (exploitation économique) de plusieurs travailleurs. Il a également été reconnu coupable de faits de marchand de sommeil. Il a été condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis partiel et à une amende de 60.000 euros, dont la moitié avec sursis de trois ans. Il a également été reconnu coupable, pour le droit social, de notification tardive en DIMONA de pas moins de 182 employés et de nombreuses infractions salariales, pour lesquelles il a été condamné séparément à une amende de 655.200 euros. Les revenus générés ont été confisqués pour un montant de 1.475.408,03 euros.

Le sixième  prévenu a été condamné à 15  mois d’emprisonnement avec sursis partiel et à une amende de 15.000 euros, dont 3.000 avec sursis de trois ans.

Les autres prévenus (sociétés) ont été condamnés à des amendes de 18.000 euros ou 45.000 euros avec sursis partiel. Le tribunal déclare également la confiscation spéciale des bénéfices issus d’activités criminelles pour des sommes atteignant parfois 1.475.408,03 euros.

Le tribunal déclare non fondée la demande de dommages et intérêts de l’intercommunale.

L’incendie a endommagé le réseau électrique basse tension de cette partie civile. En revanche, il n’y a pas de poursuite pour incendie accidentel. Il n’y a pas nécessairement de relation de cause à effet entre le délit de marchand de sommeil et l’incendie, dont l’origine exacte ne peut être déterminée.

La mère de la victime décédée se voit attribuer 15.000 euros de dommages et intérêts matériel et moral confondus. Myria se voit attribuer 5.000 euros de dommages et intérêts matériel et moral confondus.

Cette décision a fait l’objet d’un appel" par "Cette décision, qui a fait l'objet d'un appel, a été réexaminée dans un arrêt rendu le 20 janvier 2022 par la cour d'appel de Gand. Cet arrêt a ensuite fait l'objet d'un pourvoi en cassation.