Dans une décision du 28 juin 2019, le tribunal correctionnel de Bruges s’était prononcé sur le dossier d’un réseau indien de passeurs.

Cinq prévenus, dont des Indiens et un Afghan, étaient jugés pour des faits de trafic d’êtres humains (article 77bis de la loi sur les étrangers) avec circonstances aggravantes, à savoir que l’infraction a été commise à l’encontre de mineurs, en profitant de la situation vulnérable d’une personne, que l’activité en question était habituelle et que l’infraction était un acte de participation aux activités d’une organisation criminelle au détriment d’un nombre indéterminé de victimes mais d’au moins 97 personnes. Le sixième prévenu, un Belge d’origine hongroise, était poursuivi pour aide à l’immigration illégale (article 77 de la loi sur les étrangers). Les premier, deuxième et troisième prévenus étaient également jugés pour séjour illégal et le premier prévenu pour usurpation d’identité.

L’enquête a été ouverte sur la base d’une déclaration faite le 26 avril 2018 par une personne qui affirmait que le premier prévenu l’avait fait passer clandestinement. Cette personne semble avoir été trouvée régulièrement en Belgique, avec des constats remontant à 2008. Les déclarations d’autres migrants en transit et la reconnaissance photographique renvoient également à la même personne à chaque fois. Une mesure d’écoute a été initiée. Après avoir été arrêtés dans le train, deux prévenus ont été interrogés et leurs téléphones portables ont été inspectés. Des perquisitions et d’autres arrestations ont suivi.

Sur la base de l’écrasante quantité de preuves cohérentes et objectives (c’est-à-dire les écoutes téléphoniques, les enquêtes de téléphonie, les constatations de visu, les déclarations des autres prévenus), le tribunal considère que le premier prévenu est le principal coupable malgré ses dénégations. Il joue clairement un rôle d’organisateur dans le trafic d’êtres humains organisé au niveau international. Le tribunal considère également les circonstances aggravantes comme avérées. La fréquence du trafic montre clairement que les activités étaient habituelles. Il a également été abusé de la situation vulnérable des victimes, dont certaines étaient encore mineures.

Les faits ont également été commis dans le cadre d’une organisation criminelle. Les prévenus travaillaient sous les ordres de quelques grands trafiquants situés en Inde, en contact direct avec les membres de leur bande et leur donnaient des instructions. Les victimes étaient également originaires d’Inde. Elles arrivaient à Zeebrugge en passant par Paris (France) et Bruxelles. Dans le volet belge du réseau de passeurs, il existait des accords sur la répartition des rôles et des tâches. En plus du chef coordinateur, il y avait des préposés et des aides qui se chargeaient de l’accueil. Les victimes étaient souvent abandonnées sur la côte pendant des jours et devaient également faire face à des agressions et des menaces.

Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième prévenus faisaient manifestement partie d’une organisation internationale de trafic d’êtres humains très bien organisée, contrôlée depuis l’Inde, dont le premier prévenu était un personnage clé et les deuxième, troisième et quatrième prévenus ses lieutenants.

Le rôle du cinquième prévenu était plutôt de «faire dormir des clandestins chez lui ». Selon le tribunal, il s’est rendu coupable de participation à un trafic d’êtres humains, au moins dans le sens de la facilitation au séjour irrégulier, en soumettant des étrangers en situation irrégulière qui tentaient d’effectuer la traversée illégale vers le RoyaumeUni à la pression du premier prévenu pour qu’ils dorment chez lui dans l’attente de leur transport ou entre deux tentatives. Le tribunal a rejeté sa défense selon laquelle il n’a pas été payé pour ses services (la loi n’exige qu’un motif de profit, direct ou indirect). Les écoutes montrent qu’il a été payé, ou du moins que le paiement a été promis. Il était également payé en nature avec de la nourriture et des médicaments. Le rôle du cinquième prévenu dans les opérations de trafic était d’un autre ordre que celui des quatre premiers prévenus, également en termes de nombre de victimes, ce qui se traduit par une peine plus faible.

Le sixième prévenu, poursuivi pour aide à l’immigration clandestine (art. 77 de la loi sur les étrangers) n’agissait pas dans un but lucratif et n’était pas rémunéré pour son aide aux étrangers en situation irrégulière. En revanche, son aide est allée si loin qu’il n’a pas seulement fourni un soutien, un abri et une assistance médicale (limitée), mais a également collecté de l’argent pour les étrangers en situation irrégulière, transféré via des « transmetteurs d’argent ». La question qui se posait au tribunal était de savoir si ces retraits d’argent pour les étrangers en situation irrégulière pouvaient être qualifiés d’aide humanitaire ou non. Selon lui, il ne peut être exclu que l’assistance fournie par le sixième prévenu l’ait été pour des raisons humanitaires. Le sixième prévenu a déclaré de manière crédible qu’il avait une carrière de trente ans dans le domaine de l’assistance désintéressée et il est clair qu’il n’a pas cherché à s’enrichir, de sorte que les retraits d’argent ne présentent pas un caractère suffisamment suspect pour condamner le sixième prévenu dans les circonstances concrètes de l’espèce sur la base de l’article 77, premier alinéa, de la loi sur les étrangers. À tout le moins, de l’avis du tribunal, un doute subsiste à cet égard, qui doit profiter au sixième prévenu. Il est donc acquitté.

Le premier prévenu a été condamné à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de 8.000  euros multipliée par le nombre de victimes, soit 97, et donc portée à 776.000 euros, dont 388.000 euros avec sursis pendant une période de trois ans.

Les deuxième, troisième et quatrième prévenus ont été condamnés à 30 mois d’emprisonnement et à une amende de 8.000 euros, également multipliée par le nombre de victimes, avec sursis partiel.

Le cinquième prévenu a été condamné à 12  mois d’emprisonnement et à une amende de 8.000  euros multipliée par 4 (victimes), dont une partie avec sursis.

Le tribunal a également prononcé une déchéance de droits à leur encontre.

Le tribunal a également ordonné la confiscation spéciale des avantages patrimoniaux issus de l’infraction. Le premier prévenu a fait appel. Dans son arrêt, la cour a estimé que la peine prononcée par le premier juge était trop clémente. Elle prononce une peine d’emprisonnement principale effective de huit ans (au lieu de cinq ans), assortie d’une amende avec sursis partiel.