Le tribunal correctionnel a statué sur un dossier de grande envergure de traite des êtres humains dans des magasins de jour et de nuit. Cinq prévenus étaient poursuivis, dont deux sociétés. Seuls les premier et troisième prévenus, ainsi que leur société, la deuxième prévenue, étaient poursuivis pour traite des êtres humains. Les prévenus étaient également poursuivis pour d’autres infractions, notamment pour des infractions au droit pénal social (déclaration Dimona absente ou incorrecte, emploi illégal de travailleurs étrangers), escroquerie au droit pénal social (faux statut d’indépendant pour éviter le paiement des cotisations sociales) et fraude aux subventions (dans le cadre des mesures Covid). Deux victimes et la Région flamande se sont constituées parties civiles. 

Les deux sociétés exploitaient plusieurs magasins (de nuit). Une société, la deuxième prévenue, avait plusieurs filiales à Gand et Waregem. Les premier et troisième prévenus appartenaient à la même famille et exerçaient alternativement les fonctions de gérant ou d’actionnaire de la société. Le quatrième prévenu en était le comptable. 

Plusieurs contrôles ont été effectués dans des magasins de jour et de nuit. Un des contrôles a eu lieu suite à l’ouverture d’une enquête pour vol. Dans tous les cas, les travailleurs ne semblaient pas avoir été déclarés à la Dimona et prestaient en tant qu’associés indépendants, détenant 5 ou 10 % des parts de l’entreprise. Plusieurs personnes ont été entendues et ont fait des déclarations similaires : elles seraient mises au travail en tant que travailleurs indépendants dans les magasins et tenues, par le premier prévenu, de signer des documents à cet effet. Elles ignoraient souvent la législation belge et ne connaissaient pas la différence entre un salarié et un indépendant. On leur avait promis un beau revenu mensuel, mais elles ont fini par devoir travailler de longues heures, parfois sept jours sur sept, sans vacances. Elles ne recevaient que 50 euros par jour. Parfois, elles devaient en restituer une partie, au nom de prétendus impôts ou cotisations. 

Pour les personnes qui étaient indépendantes pendant la période du coronavirus, une prime « Covid » avait été demandée par les prévenus, mais elles n’en ont pas vu la couleur. L’enquête a révélé que plusieurs magasins étaient restés ouverts pendant la pandémie et que les primes avaient donc été demandées à tort. 

Une perquisition a été menée chez le premier prévenu. Il vivait dans une luxueuse villa dans la périphérie gantoise. D’importantes sommes d’argent en espèces y ont été retrouvées, ainsi que des voitures de luxe. 

Lors des auditions, les enquêteurs ont constaté que plusieurs personnes semblaient avoir peur des prévenus, parce qu’ils sont issus d’une importante famille pakistanaise. Au cours de l’enquête, l’une des victimes a été menacée par le troisième prévenu. 

En ce qui concerne la prévention d’escroquerie au droit pénal social (faux statut d’indépendant), les prévenus ont été poursuivis pour avoir faussement nommé des personnes en tant qu’associés au sein de leurs sociétés, alors qu’elles étaient en réalité employées comme salariées. Ceci dans le but d’éviter le paiement des cotisations sociales. Suite aux déclarations des différentes personnes, le tribunal a déduit que le montage avec des associés indépendants était fictif. Des horaires de travail fixes étaient imposés, les travailleurs ne pouvaient pas choisir leurs vacances, ils effectuaient des tâches purement exécutives et n’avaient aucune liberté d’organisation. Les personnes étaient surveillées par les prévenus, notamment au moyen de caméras. Le tribunal a conclu que les personnes travaillaient bel et bien sous autorité. Les relations de travail ont ainsi été requalifiées en relations de travail sous autorité. Le montage visait à éviter de payer des cotisations de sécurité sociale plus élevées pour ces personnes. 

En ce qui concerne la prévention de traite des êtres humains, le tribunal a déclaré que la volonté des victimes de travailler dans de telles circonstances n’était pas pertinente. Le traitement ou le revenu des victimes dans leur pays d’origine ne pouvait pas non plus être un critère. 

Le tribunal a établi qu’il y avait eu recours à des personnes de nationalité pakistanaise ou afghane ayant un statut de séjour précaire, ne connaissant pas la langue ni les réglementations, mais souhaitant construire une vie ici pour faire fonctionner les magasins. En raison de ce statut de séjour précaire, elles ne disposaient que d’un accès limité à la recherche d’un logement et d’un emploi, ce qui les rendait vulnérables à l’exploitation en tant que victimes de traite des êtres humains. Le concept commercial de l’entreprise a tiré parti de cette situation en créant une certaine dépendance chez ces travailleurs, ce qui les a souvent entraînés dans un cercle vicieux. En effet, ils voulaient travailler, mais compte tenu de leur statut et de la barrière de la langue, ils avaient peu de possibilités de le faire. Par conséquent, ils sont allés travailler, voire aussi loger, chez des compatriotes en qui ils pouvaient, à première vue, avoir confiance du fait de leur culture similaire et d’une langue familière dans laquelle ils pouvaient communiquer. 

Le dossier pénal a aussi révélé que l’entreprise avait initialement pris en charge les cotisations de sécurité sociale. Cependant, lorsque les travailleurs manifestaient leur volonté de mettre fin à la collaboration, cela s’avérait impossible car ils devaient alors rembourser ces cotisations sociales, ce qu’ils ne pouvaient évidemment faire qu’en continuant à travailler. 

Les prévenus profitaient délibérément de la position vulnérable de leurs travailleurs pour obtenir un avantage financier. 

Le tribunal a procédé à l’évaluation des faits pour chaque travailleur et a calculé qu’ils gagnaient seulement entre 3,5 et 6 euros de l’heure. Le tribunal a donc estimé que le modèle d’entreprise sur lequel reposait le fonctionnement de la société impliquait une exploitation économique. Cela ressortait non seulement du recours au statut de faux indépendant pour éviter de devoir payer des cotisations de sécurité sociale, mais aussi de l’observation selon laquelle les soi-disant « associés actifs » devaient travailler de nombreuses heures d’affilée en échange d’une maigre rémunération. 

Pour l’une des victimes, la circonstance aggravante d’avoir abusé de sa position vulnérable a également été jugée établie. En effet, l’homme avait besoin d’un logement et ne pouvait l’obtenir que s’il travaillait dans le magasin. Il n’avait donc pas d’autre choix réel que d’accepter ces abus. 

En ce qui concerne l’une des victimes, les prévenus ont été acquittés faute de preuves. 

Les prévenus ont été condamnés respectivement à des peines de prison d’un an et de 18 mois, en partie assorties d’un sursis, et à des amendes de 12.000 et 40.000 euros. Des sommes d’argent importantes ont été confisquées. La société a été condamnée à payer une amende de 384.000 euros. Les victimes ont obtenu 21.289,60 euros de dommages et intérêts (dont 2.500 euros à titre de dommage moral) et 30.085,60 euros (dont 3.000 euros à titre de dommage moral). 

Cette décision a fait l’objet d’un appel.