Six prévenus étaient poursuivis à des titres divers pour des préventions de traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle avec circonstances aggravantes (notamment de mineures et la mise en danger de la vie des victimes), exploitation de la débauche ou de la prostitution de majeures et mineures et organisation criminelle. Deux prévenus étaient également poursuivis pour blanchiment.

Les trois premiers prévenus ont comparu, les trois derniers ont fait défaut. Trois victimes se sont constituées parties civiles.

Le dossier a été initié en août 2018 à la suite d’informations du milieu africain de la prostitution à la gare du nord de Bruxelles. Une Nigériane, elle-même prostituée contractuelle, aurait fait venir clandestinement en Belgique via l’Italie au moins 35 jeunes filles nigérianes en vue de les exploiter dans le quartier de la prostitution de la gare du Nord. Elle prenait aussi les commandes d’autres «madames » qui voulaient faire venir des filles. Les jeunes filles auraient transité par l’Italie par l’intermédiaire d’une « sœur » de cette femme, elle-même arrêtée en Italie en 2018 avec son compagnon pour des suspicions de trafic d’êtres humains. Il s’agit de la quatrième prévenue de ce dossier.

L’enquête a été menée sur base de contrôles dans les carrées, l’audition de victimes présumées, une enquête de téléphonie, des écoutes téléphoniques et des perquisitions.

Les victimes étaient recrutées sous des promesses fallacieuses d’emploi comme coiffeuse, cuisinière, ou gardienne d’enfants et devaient subir un rituel vaudou au cours duquel elles juraient de ne pas dénoncer leur «madame » à la police. Elles devaient rembourser leur dette de voyage de l’ordre de 30.000 euros une fois arrivées à destination. Elles sont passées par la route libyenne. Pour le passage de la frontière entre le Niger et la Libye, de faux passeports étaient utilisés, détruits ensuite. Certaines d’entre elles ont été battues et violées en cours de route. Depuis la Lybie, la traversée s’effectuait jusqu’en Italie où le frère de la prévenue principale (le troisième prévenu) les accueillait. Elles étaient ensuite amenées en Belgique, en train ou, munies de faux papiers, mises dans un avion à destination de la Belgique. Elles étaient immédiatement emmenées dans des vitrines pour y être prostituées. Elles devaient remettre au moins la moitié de leurs gains pour apurer leur dette. Si l’une d’elles arrêtait de payer avant l’apurement, elle était menacée ou subissait des pressions pour reprendre les remboursements.

Certaines victimes étaient emmenées en France pour y introduire une demande d’asile, le soutien financier reçu devant être remis à la «madame ».

La prévenue principale faisait usage du système « yemeshe » pour l’occupation des vitrines louées : en tant que prostituée contractuelle, elle donnait l’autorisation à des filles de s’y prostituer, les gains étaient ensuite partagés de moitié entre elles.

Le tribunal retient la plupart des préventions de traite des êtres humains et les circonstances aggravantes : il est établi qu’entre le 1er septembre 2015 et juin 2019, plusieurs filles nigérianes ont été amenées en Belgique sous la fausse promesse d’un emploi légal en Europe pour être ensuite forcées en Italie ou en Belgique à la prostitution.

Les filles étaient recrutées au Nigéria par la sœur de deux des prévenues ou une connaissance de la prévenue principale ou par le père et la belle-mère d’une autre prévenue.

Leur vie a été mise en danger : lors de la traversée, elles ont été mises dans des camps ou faisaient des haltes au cours desquelles elles devaient se prostituer pour pouvoir manger, subissaient des violences ou des viols.

Le tribunal retient également la prévention d’exploitation de la prostitution et celle d’organisation criminelle.

La première prévenue avait un rôle clé : elle faisait venir des filles pour elle-même ou d’autres « madames ». Elle donnait les instructions pour le recrutement, confirmait les fausses promesses, facilitait le trajet des filles en Europe, entretenait des contacts avec sa famille sur place qui s’occupait du recrutement et de la route africaine, suivait le trajet des victimes et les accueillait en Belgique pour les diriger vers la prostitution.

Le tribunal acquitte en revanche cette prévenue de la prévention de blanchiment : ayant travaillé elle-même plusieurs années comme prostituée, il n’est pas établi que l’argent qu’elle transférait au Nigéria provenait de l’exploitation de la prostitution des victimes.

La deuxième prévenue est acquittée des faits de traite des êtres humains et de blanchiment, mais le tribunal retient dans son chef la prévention d’organisation criminelle : elle utilisait le réseau de l’organisation pour faire venir des membres de sa famille, dont sa fille. Elle a également contribué activement à l’exécution des activités de l’organisation en hébergeant les filles ou en les accompagnant en France pour l’introduction d’une demande d’asile.

Le troisième prévenu réceptionnait les filles en Italie et les mettait ensuite dans un avion pour Bruxelles. Le tribunal souligne que le fait qu’il n’ait pas demandé de paiement direct aux filles pour les services rendus n’est pas pertinent. L’article 433quinquies du Code pénal n’exige pas que les actes posés aient donné lieu à un profit. Il n’est pas non plus nécessaire que les actes aient été posés en vue d’exploiter soi-même des victimes.

La quatrième prévenue confirmait pour certaines victimes les fausses promesses, était la personne de contact pendant la traversée et, une fois que les filles arrivaient en Italie, réglait leur accueil en Italie et la suite du trajet vers la Belgique. Elle avait déjà été condamnée par le tribunal de Bologne pour des faits similaires.

La cinquième prévenue était une « madame » ayant recouru aux services de la prévenue principale pour faire venir une victime.

La sixième prévenue est acquittée de tous les faits reprochés au bénéfice du doute.

La prévenue principale est condamnée à une peine d’emprisonnement de 4  ans et à une amende (avec sursis partiel) de 64.000  euros. Les autres prévenus sont condamnés à des peines variant de 15 à 30 mois d’emprisonnement et à des amendes de 8.000 à 16.000 euros.

Les victimes constituées parties civiles reçoivent un euro provisionnel.

Cette décision a fait l’objet d’un appel.