Tribunal correctionnel néerlandophone de Bruxelles, 12 janvier 2018
Huit prévenus de nationalité chinoise étaient cités à comparaître pour différentes préventions. Il s’agissait notamment de préventions de traite des êtres humains en vue de l’exploitation de la prostitution, trafic d’êtres humains, extorsion, tentative d’extorsion, dirigeant d'une association de malfaiteurs, corruption active, possession de stupéfiants, décisions dans une organisation criminelle, faux et usage de faux, blanchiment, participation à une organisation criminelle et séjour illégal. Une victime et PAG-ASA s'étaient constitués partie civile.
Le tribunal a estimé qu'il n’y avait pas suffisamment de preuves pour les préventions de traite des êtres humains, de tentative d’extorsion et de participation à une organisation criminelle. Les autres préventions ont été déclarées établies, mais cependant pas pour tous les prévenus. Deux prévenus ont été totalement acquittés. La prévention de traite des êtres humains avait trait à une jeune fille chinoise mineure d’âge de 15 ans. Elle reposait cependant uniquement sur une conversation entre les prévenus et le tribunal a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une preuve suffisante. Dès début 2015, plusieurs faits ont donné lieu au démarrage d'une enquête sur un réseau de trafic d’êtres humains dans le cadre duquel des personnes de nationalité chinoise et tibétaine en séjour illégal étaient transportées clandestinement depuis la Chine vers la Belgique par le biais de plusieurs pays européens. En janvier 2015, les services d'inspection des douanes ont intercepté un colis DHL contenant deux passeports chinois authentiques. Cet envoi était adressé au premier prévenu. Une victime de trafic d’êtres humains s’est ensuite manifestée et plusieurs Chinois se sont présentés à la commune avec une fausse carte d’identité. Il est ressorti d’une enquête ultérieure que les victimes avaient été transportées clandestinement en Belgique et avaient dû payer des sommes considérables à cette fin. Une fois les victimes en Belgique, elles travaillaient comme personnel dans des restaurants, des ateliers alimentaires illégaux, des salons de massage, le secteur de la construction ou la garde d’enfants, et ce généralement pour rembourser leurs dettes. Les victimes faisaient l’objet de menaces physiques et verbales. Les auteurs avaient les victimes entièrement sous leur contrôle.
Le tribunal a estimé qu'il n’était nullement question d’organisation criminelle, étant donné que le caractère persistant requis et la forme plus complexe d’organisation d'une organisation criminelle n’ont pas été démontrés. Il est notamment ressorti de l’enquête qu’il n’y avait aucune répartition des rôles fixe ni aucune convention claire, que les prévenus se connaissaient en fonction des circonstances, et que lorsque cela les arrangeait, ils collaboraient pour commettre des infractions. Lors de l’appréciation des circonstances aggravantes du trafic d’êtres humains, la position vulnérable des victimes a été retenue. Le tribunal n’a pas retenu la circonstance aggravante d'organisation criminelle, mais l’a requalifiée en association de malfaiteurs. Et ce, en raison de l’existence évidente de liens entre les prévenus concernés en vue de commettre l’infraction de trafic d’êtres humains. La prévention de trafic d’êtres humains a été retenue par le tribunal en raison du caractère cohérent, consistant et détaillé du récit nuancé de l’une des victimes. La victime a également fourni à la police une copie du document que le premier prévenu lui avait remis dans le cadre de son séjour en Belgique et une copie de la carte d’identité falsifiée. La victime a également remis une liste de numéros de téléphone appartenant tous au premier prévenu. La victime a déclaré qu’elle avait payé 1.000 euros au premier prévenu pour qu’il l’aide à avoir un emploi et un lieu de séjour en Belgique, et ensuite 5.000 euros pour obtenir des documents de séjour belges (il s’agissait d'un document falsifié) et encore 5.000 euros pour une carte d’identité belge, également falsifiée. Une autre victime avait dû verser au premier prévenu un montant afin qu’il puisse intervenir pour la faire entrer dans un centre spécialisé pour victimes de traite des êtres humains. Pour 500 euros et 16.000 RMB (Renminbi, la devise chinoise), le premier prévenu s’en est chargé avec aussi, entre autres un contrat de travail, un certificat d’enseignement et des lettres de recommandation. Une troisième victime déclara de manière détaillée, cohérente et consistante comment elle avait payé 21.000 euros au premier prévenu pour obtenir une carte d'identité roumaine qui s’est ensuite révélée fausse. Le tribunal a également estimé établi que le premier et le cinquième prévenus louaient des cartes d’identité pour ainsi générer un revenu plus élevé, ce que les écoutes téléphoniques et les observations ont permis de confirmer. Le premier et le septième prévenus étaient également impliqués dans la location de chambres où les clandestins étaient conduits.
Le tribunal a retenu toutes les circonstances aggravantes dans le chef du premier prévenu, à savoir la situation vulnérable, le caractère habituel et l’association de malfaiteurs. Pour les deux autres, le caractère habituel n’a pas été établi. Les autres prévenus ont été acquittés de la prévention de trafic d’êtres humains, mais ont été condamnés pour d’autres préventions. Seuls le quatrième et le huitième prévenus ont été entièrement acquittés. La prévention de blanchiment a été déclarée établie dans le chef de deux prévenus. Il est ressorti du dossier pénal que le premier prévenu avait généré plus de revenus que ce qu'il avait déclaré. Un montant avait également été envoyé par le biais d’agences de transfert de fonds et après analyse des comptes, trois virements vers la Chine ont été identifiés. Le premier prévenu a fait des déclarations contradictoires concernant l’origine de ces fonds. Pour le deuxième prévenu également, des transactions suspectes ont été qualifiées de pratiques de blanchiment par le tribunal.
Le premier prévenu, figure dirigeante du trafic d’êtres humains, a été condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans et à une amende de 54.000 euros. Les cinquième et septième prévenus ont été condamnés à dix-huit mois d’emprisonnement et à une amende entre 6.000 et 30.000 euros, les deux avec sursis. Les autres prévenus ont fait l’objet de peines allant de six à onze mois d’emprisonnement, 100 heures de travaux d'intérêt général et une amende de 600 euros. Une somme de 75.585,07 euros a été confisquée dans le chef du premier prévenu, et 28.964 euros dans le chef du deuxième prévenu. L’asbl PAG-ASA s’est vu octroyé 500 euros d’indemnisation. L’une des victimes s’était constituée partie civile et a obtenu un dédommagement matériel de 13.000 euros et un dédommagement moral de 500 euros. Le tribunal a estimé que les sommes saisies devaient être libérées au profit de la victime partie civile.
Ce jugement a fait l’objet d’un appel. L’appel concerne cinq prévenus, dont le prévenu principal et une autre prévenue, condamnés en première instance pour trafic d’êtres humains. Dans son arrêt rendu le 25 juin 2018, la cour d’appel de Bruxelles a globalement confirmé le jugement rendu en première instance.