Tribunal correctionnel de Louvain, 6 décembre 2022
Trois prévenues étaient poursuivies dans cette affaire, deux femmes de nationalité belge mais d’origine sud-américaine (République dominicaine et Cuba) et une société belge. Elles étaient poursuivies pour plusieurs préventions, telles que la tenue d’une maison de débauche, l’exploitation de la prostitution et la publicité en faveur de la prostitution. Seule la première prévenue a été poursuivie pour traite des êtres humains, vente de cocaïne et blanchiment d’avantages patrimoniaux. Une victime de nationalité dominicaine s’était constituée partie civile.
L’enquête pénale a révélé qu’un « salon de massage » avait été exploité dans un immeuble commercial de Diest entre 2016 et 2020. Au départ, il était exploité par une entreprise, la troisième prévenue. Après la déclaration de faillite de la société, la première prévenue a repris le commerce en son nom propre. Il ressort des déclarations de clients et de femmes qui y travaillaient que ce salon abritait de la prostitution clandestine. Des plateformes en ligne étaient utilisées pour faire la publicité du commerce.
Entre 2017 et 2020, il a également été question de prostitution dans un appartement à Aerschot. La prévenue le louait et les clients pouvaient profiter des services sexuels des filles dans une chambre.
La seconde prévenue était impliquée dans l’organisation pratique de la prostitution.
Selon le tribunal, les faits de traite des êtres humains étaient avérés à l’égard de 36 personnes. Les travailleuses du sexe devaient être disponibles tous les jours de la semaine (7/7), de 9 heures ou 10 heures du matin jusqu’à minuit passé pour recevoir les clients, ce qui signifiait qu’elles ne pouvaient quitter les lieux que très rarement. Si elles voulaient prendre un jour de congé ou sortir du bâtiment pour quelques heures, elles devaient en demander la permission.
Les travailleuses du sexe n’étaient pas obligées d’accomplir des actes sexuels spécifiques, mais devaient faire preuve de souplesse sur le plan sexuel. Lorsqu’un client manifestait son mécontentement, la première prévenue se mettait en colère et criait. La recette des services prestés était partagée à parts égales entre la première prévenue et la travailleuse du sexe concernée. Les travailleuses du sexe devaient également s’acquitter d’une somme forfaitaire de 20 euros pour le placement d’annonces et les frais annexes (notamment les sex toys et les préservatifs). Dans l’appartement à Aerschot, le système est passé à un loyer fixe par chambre après un certain temps, de 300 à 400 euros par semaine. Cela a permis à la prévenue de percevoir un montant qui dépassait largement le coût de la location de l’appartement (600 euros par mois).
Selon une estimation, les revenus hebdomadaires de la prévenue s’élevaient en moyenne à 6.000 euros pour le salon de massage et à 1.800 euros pour l’appartement. Une travailleuse du sexe « prospère » retirait de ses activités 1.000 à 1.500 euros par semaine. Par ailleurs, de nombreuses travailleuses du sexe étaient accueillies et hébergées par la prévenue et devaient payer pour cela, ce qui, dans la pratique, ne laissait à certaines d’entre elles qu’un maigre revenu issu de leurs activités.
La prévenue surveillait également de près les performances et l’assiduité des travailleuses du sexe. Elle encaissait elle-même les paiements des clients. En son absence, cette tâche était confiée à une personne de confiance. Elle pouvait en outre exercer un contrôle à distance grâce à un système de caméras.
Elle n’hésitait pas non plus à utiliser des circonstances personnelles, comme la virginité ou la grossesse d’une travailleuse du sexe, pour attirer les clients. Elle fournissait également les clients en cocaïne. Elle utilisait par ailleurs les comptes des travailleuses du sexe pour transférer des fonds illicites à l’étranger. Comme elle recevait elle-même beaucoup d’argent liquide, elle ne pouvait pas effectuer toutes les transactions en son nom propre.
L’une des filles s’est avérée sans conteste être une victime de traite des êtres humains. Cette dernière, qui s’est constituée partie civile, est la nièce de la première prévenue. Sa tante avait organisé un mariage de complaisance en République dominicaine pour qu’elle vienne en Belgique, où elle a été presque immédiatement introduite dans la prostitution, manifestement contre son gré. Elle devait s’acquitter d’une prétendue dette de 8.500 euros auprès de sa tante. Elle dépendait entièrement de cette dernière, tant sur le plan administratif que financier.
Le tribunal a également jugé que les faits restaient punissables après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur le droit pénal sexuel. Les faits pouvaient être considérés comme « l’organisation de la prostitution d’autrui dans le but d’en retirer un avantage ». L’exception à la criminalisation de l’organisation de la prostitution prévue par la loi n’était pas applicable.
La prévention de publicité pour la prostitution reste punissable après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. La nouvelle réglementation prévoit quelques exceptions à l’interdiction de la publicité, notamment lorsqu’une personne majeure fait la publicité de ses propres services sexuels sur une plateforme en ligne spécialement prévue à cet effet. Toutefois, selon le tribunal, cette disposition n’était pas applicable en l’espèce, car la prévenue agissait en tant qu’intermédiaire entre les travailleuses du sexe et la plateforme et il n’y avait aucune garantie pour réduire le risque d’abus et d’exploitation.
Le tribunal a condamné la première prévenue, pour traite des êtres humains et d’autres préventions, à une peine de cinq ans d’emprisonnement et à une amende de 288.000 euros. Elle a été privée de ses droits pendant cinq ans et a été condamnée à une interdiction d’activité professionnelle pendant cinq ans. Une somme importante a été confisquée sur base du calcul de l’avantage patrimonial obtenu de manière illicite s’élevant à un total de 602.330 euros. Une partie a été attribuée à la partie civile.
La victime a obtenu une indemnisation de 60.583 euros. La société a été condamnée, solidairement avec la première prévenue, à payer 18.805 euros de dommages et intérêts.
Cette décision est définitive.