Une déclaration ne suffira pas

A première vue, une déclaration pour nouveaux arrivants n’est pas en soi contraire aux droits fondamentaux. On peut également partager le souci du secrétaire d’Etat sur l’idée que l’intégration est la facteur-clef de la migration. Ce n’est d’ailleurs pas une première : depuis la loi du 19 mars 2004, appliquée depuis les élections communales de 2006, les étrangers non-européens souhaitant voter aux élections communales doivent s’engager à respecter la Constitution, les lois du peuple belges et la Convention européenne des droits de l’homme. Avec l’actuelle déclaration pour nouveaux arrivants, il ne s’agit plus seulement du respect de l’état de droit, mais du respect de certaines de nos valeurs. Comment ces valeurs sont-elles sélectionnées et formulées, et  comment leur adhésion à ces valeurs sera-t-elle  vérifiée ? On peut par ailleurs s’étonner du fait que le parlement n’aie pas été impliqué dans un texte impliquant la définition de valeurs.

En réalité cette déclaration permet de mettre en lumière un vieux problème : politique de migration et d’intégration sont, en Belgique, deux choses différentes. C’est l’échelon fédéral qui est compétent pour délivrer les titres de séjour. Ce sont les communautés et les régions qui sont compétentes en matière d’intégration. C’est le pouvoir fédéral qui gère l’accès au territoire. Ce sont les communautés et régions qui disposent des leviers en matière d’enseignement, de logement, de travail et d’économie.

Toute l’histoire migratoire de la Belgique peut se lire comme une distorsion entre migration et intégration : pendant les Trente Glorieuses notre pays a développé une migration économique par accords bilatéraux. Ce n’est que bien plus tard qu’il a commencé à se préoccuper des familles et du séjour à longue durée des travailleurs. Mais sans une planification urbaine et sociale qui permette une intégration cohérente. Et en refusant longtemps, dans certaines régions, de développer des parcours d’intégration, qui ne sont pourtant qu’une occasion de dire au nouvel arrivant autre chose que : « bienvenue et débrouillez-vous ».

Cette déclaration pour nouveaux arrivants est avant tout un symbole : elle ne concerne qu’une partie des nouveaux arrivants, puisqu’il est impossible d’imposer une telle obligation aux citoyens européens (un Polonais ne devra pas la signer, un Américain oui). Elle n’aura dans un premier temps que peu de conséquences pratiques, puisqu’on n’imagine mal un nouvel arrivant refuser de la signer, quoiqu’il en pense réellement, si cela l’empêche d’obtenir son droit de séjour. On pourrait d’ailleurs proposer que cette déclaration intervienne plus tard dans le processus : ne serait-il pas plus logique de la faire signer à celui qui passe d’un séjour déterminé à un séjour illimité, plutôt qu’au tout nouvel arrivant qui doit encore apprendre ces valeurs ? Nous sommes également perplexes sur la manière dont le suivi en sera fait : comment vérifie-t-on l’intégration par les valeurs quand on est une autorité fédérale et que l’intégration dépend d’autres niveaux de pouvoir ?

Ce dossier met en lumière une chose : l’échelon fédéral ne dispose que de peu d’outils réels en matière d’intégration, tout en devant gérer la migration. Et tel est sans doute le véritable problème. Si nous voulons enfin réconcilier politique de migration et d’intégration, il sera temps, demain, de nous mettre tous autour de la table – fédéral, régions et communautés, institutions, société civile – et de nous atteler à ceci : comment harmoniser les politiques de migration et d’intégration en Belgique ? Comment mieux lier les politiques de migration avec les réelles motivations des candidats migrants ? Comment penser une politique d’intégration qui ne se contente pas de gérer le fait accompli migratoire? Une conférence interministérielle sur la migration et l’intégration, qui affronte tous ces éléments essentiels du vivre-ensemble, serait à ce titre une initiative intéressante.

François De Smet
Directeur de Myria