Une loi du 19 septembre 20171 va bientôt permettre à l’officier de l’état civil d’une commune de refuser la reconnaissance d’un enfant hors-mariage par son père (ou sa coparente) si ce fonctionnaire estime que cette reconnaissance est une fraude au séjour. Il s’agit de lutter notamment contre les reconnaissances de paternité par des hommes belges ou étrangers en séjour légal, faites uniquement dans le but de procurer un séjour à la mère. Selon cette loi « il n'y a pas de lien de filiation entre l'enfant et l'auteur de la reconnaissance » lorsque « l'intention de l'auteur de la reconnaissance, vise manifestement uniquement l'obtention d'un avantage en matière de séjour ». Un fonctionnaire local peut donc décider qu’une personne n’est pas le père d’un enfant si son intention exclusivement frauduleuse « ressort d'une combinaison de circonstances » indéterminées

et ceci y compris lorsque le lien biologique existe.

En outre, la loi impose de déposer à la commune de nombreux documents parfois difficiles à obtenir (par exemple les actes de naissance des deux parents étrangers) avant toute reconnaissance. En cas d’enquête, menée par la police et le parquet, la procédure de reconnaissance pourra durer jusqu’à 8 mois, à partir du moment où tous les documents ont été déposés. Si la reconnaissance est refusée par l’officier de l’état civil, aucun recours spécifique et accessible à tous n’est prévu. Un enfant devra donc parfois attendre de nombreux mois – voire années en cas de recours au tribunal de la famille – pour qu’une décision soit prise pour savoir s’il peut ou non avoir un père officiel, et par conséquent un droit de séjour par regroupement familial. En attendant, les conséquences pour l’enfant et sa mère en séjour irrégulier sont graves : absence de droits sociaux pour l’enfant et sa mère (à l’exception de l’aide médicale urgente) et surtout ils risquent l’expulsion du territoire. Si c’est le cas, le droit de l’enfant à faire établir sa filiation paternelle devient particulièrement difficile. Et sans filiation paternelle, l’enfant ne pourra pas non plus exiger une éventuelle contribution alimentaire de son géniteur ou un droit à l’héritage. 

Pour le Délégué général aux droits de l’enfant, le Kinderrechtencommissaris et Myria, il est important de lutter contre la fraude, en priorité contre les personnes malveillantes qui tirent profit de la situation vulnérable d’étrangers en séjour précaire. Toutefois, cette nouvelle loi n’atteindra pas forcément ce but tout en portant gravement atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant et en restreignant fortement les droits fondamentaux des personnes concernées. En effet, la circonstance qu’un enfant aurait été conçu en partie ou exclusivement en vue de l’obtention d’un droit de séjour pour un de ses parents ne permet en aucun cas de faire abstraction de sa qualité d’être humain et d’ignorer ses droits. Selon la Convention internationale sur les droits de l’enfant, chaque enfant a le droit d’être « enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux » (art. 7). Les États ont aussi l’obligation de « respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales » (art. 8). Selon la Cour européenne des droits de l’homme, « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation » (arrêt Mennesson c. France, § 96). La nouvelle loi heurte de plein fouet le droit de l’enfant qui est, en principe, de voir sa double filiation établie, et de connaître ses origines tant du côté maternel que paternel. Le Délégué général aux droits de l’enfant, le Kinderrechtencommissaris et Myria demandent que cette loi soit réexaminée pour qu’il soit mieux tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. La possibilité d’annuler une reconnaissance ne devrait être possible que dans des cas exceptionnels, uniquement par une décision d’un tribunal s’étant assuré que celle-ci se fait dans l’intérêt supérieur de l’enfant au lieu d’être confiée à des fonctionnaires communaux peu formés et souvent surchargés. Dans l’attente de ce réexamen qui s’impose d’urgence, nous demandons à tous les acteurs concernés de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant qui est, en principe, et même en cas de fraude au séjour, de voir sa filiation établie tant du côté maternel que paternel. Myria, le Centre fédéral migration, est un organisme public indépendant doté de trois missions légales : la stimulation de la lutte contre la traite et le trafic des êtres humain, l’information des pouvoirs publics sur l’ampleur et la nature des flux migratoires et la protection des droits fondamentaux des étrangers.