Cour d’appel de Liège, 14 septembre 2022
La cour d’appel de Liège a rejugé une affaire de traite dans laquelle trois prévenus étaient poursuivis à des titres divers pour différentes préventions : traite aux fins d’exploitation sexuelle, trafic d’êtres humains, organisation criminelle, viol et coups et blessures. Une quatrième prévenue était uniquement poursuivie pour trafic d’êtres humains. La victime était une femme sénégalaise, constituée partie civile. Elle avait dénoncé les faits de traite auprès de la police de Liège en 2016, accompagnée par un centre d’accueil de victimes. Myria s’était également constitué partie civile.
Le premier et principal prévenu, belge, était en état de récidive légale. Il était l’ancien manager d’un réseau de prostitution liégeois déjà condamné pour traite des êtres humains dans le cadre d’un précédent dossier emblématique.
La partie civile a déclaré qu’après plusieurs contacts à distance, lui promettant de mener une belle vie, le prévenu l’avait convaincue de quitter le Sénégal pour venir au Luxembourg puis en Belgique. Ils se sont d’abord rencontrés au Maroc et s’y sont mariés religieusement. Durant cette période, le prévenu et sa compagne en Belgique lui envoyaient régulièrement de l’argent. Selon la victime, c’est à l’instigation de ce dernier que des intermédiaires et passeurs d’origine africaine, via des faux documents d’identité, lui ont permis de quitter l’Afrique à destination de la Belgique. Le prévenu exerçait un ascendant sur celle-ci en adoptant une attitude d’attachement amoureux par la technique du loverboy. Elle devait s’occuper du ménage dans le domicile du prévenu et a déclaré avoir été incitée par ce dernier à se prostituer via l’application « Badoo ». Elle ne pouvait partir car elle était enceinte de ce dernier, en situation de séjour illégal et par manque d’argent. Elle aurait également été forcée d’accepter des relations sexuelles à plusieurs. Enfin, elle déclare avoir été victime de brimades, injures et autres coups de la part de ce prévenu et de sa compagne si elle refusait.
La deuxième prévenue, belge née au Nigeria, était la compagne du premier prévenu et s’occupait de l’intendance et la gestion de leur domicile, où vivaient également une troisième compagne et les parents du prévenu.
Le troisième prévenu, italien né à Seraing, était également en état de récidive légale. Il s’occupait des faux documents et intervenait dans les avoirs du premier prévenu, en tant qu’avocat et bras droit de ce dernier. Il avait également été condamné dans le dossier emblématique liégeois pour organisation criminelle, traite et aide au séjour illégal avec circonstances aggravantes.
La quatrième prévenue, sénégalaise et défaillante au procès, avait été interpellée par les autorités marocaines lors de sa tentative de faire passer la victime à la frontière à Tanger et avait été identifiée par cette dernière. Il ressort de l’analyse des supports multimédias des prévenus qu’elle avait bénéficié d’un billet d’avion, consistant en un avantage patrimonial.
Dans un jugement du 20 octobre 2021, le tribunal correctionnel de Liège avait acquitté le prévenu principal de la prévention de traite, estimant que tous les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient pas réunis en l’espèce, en particulier la finalité d’exploitation sexuelle. Il avait également acquitté de cette prévention la compagne du prévenu principal et son bras droit.
Par ailleurs, pour les trois premiers prévenus, le tribunal avait requalifié la prévention de trafic en aide au séjour. Il avait condamné le prévenu principal et sa compagne pour cette prévention mais avait acquitté le troisième prévenu, accédant à la demande de ce dernier qui invoquait l’exception humanitaire.
Le tribunal avait également acquitté les prévenus concernés des préventions de viol, organisation criminelle, requalifiée en association de malfaiteurs, et coups et blessures. Cette dernière prévention avait toutefois été déclarée établie dans le chef de la compagne du premier prévenu, au préjudice de la partie civile, le tribunal ayant toutefois reconnu la cause d’excuse de provocation.
Au civil, le prévenu principal et sa compagne avaient été condamnés à verser 2.000 euros de dommages et intérêts à titre définitif à la partie civile (la prévenue devant en outre lui verser 500 euros définitifs, en raison de la prévention de coups et blessures).
La quatrième prévenue avait été condamnée par défaut pour tentative de trafic avec participation à une association de malfaiteurs. Elle devait verser 500 euros définitifs à la partie civile et 1 euro définitif à Myria.
Les peines d’emprisonnement prononcées variaient entre 6 mois et 1 an (la plupart avec sursis) et une peine d’amende de 6.000 euros avait été prononcée dans le chef de la compagne.
Le ministère public et les deux premiers prévenus avaient interjeté appel. La victime étant entre-temps décédée, son fils avait repris l’instance, représenté par sa tutrice.
Myria n’était pas à la cause en degré d’appel.
La cour d’appel de Liège a réformé en grande partie le jugement de première instance. Contrairement au tribunal, elle considère que la traite aux fins d’exploitation sexuelle est bien établie dans le chef du premier prévenu, de sa compagne et de l’avocat qui avaient exercé un rôle actif en connaissance de cause. Le prévenu principal a utilisé la méthode du loverboy, que la cour détaille (recrutement, enjôlement, attachement), rendant la victime totalement dépendante de lui. Ceci afin de l’exploiter sexuellement, ne fût-ce qu’à son seul profit. La cour relève ainsi que la loi incrimine également celui qui exploite la victime afin de satisfaire ses propres passions sexuelles. Or, le prévenu avait la mainmise sur la victime en utilisant cette méthode. La cour se base à cet effet sur les déclarations de la victime décrivant un modus operandi significatif et bien rôdé, les déclarations de la compagne du prévenu, de témoins, ainsi que sur les constats des verbalisants (notamment l’analyse de l’ordinateur du prévenu). Des confrontations avaient également été organisées. Enfin, la cour retient les circonstances aggravantes d’abus de vulnérabilité, de contrainte, violence ou menaces et d’association de malfaiteurs.
Par ailleurs, la cour confirme la condamnation du prévenu principal et de sa compagne pour la prévention de trafic, requalifiée en aide au séjour. Contrairement au tribunal, il condamne aussi le bras droit du principal prévenu pour cette prévention. La cour considère en effet que, s’il n’a pas participé à l’entrée de la victime sur le territoire belge, il a bien contribué à son séjour irrégulier. Elle rejette à juste titre le bénéfice de l’exception humanitaire, dès lors que l’action du prévenu s’inscrivait dans une démarche principalement criminelle, à savoir satisfaire aux passions sexuelles du prévenu principal, ce qu’il n’ignorait pas.
Enfin, la cour confirme la condamnation de la quatrième prévenue pour tentative de trafic d’êtres humains. Elle a tenté de permettre l’entrée irrégulière de la victime sur le territoire belge en vue d’obtenir un avantage patrimonial.
Elle considère également que les faits ont été commis, pour l’ensemble des prévenus, dans le cadre d’une association de malfaiteurs.
Les peines prononcées varient entre un an et trois ans d’emprisonnement et les amendes vont de 8.000 à 80.000 euros. Une déchéance des droits a également été prononcée.
Au niveau civil, le fils de la victime n’ayant pas suffisamment précisé sa réclamation, la cour a décidé d’une réouverture des débats.