En vue d’une mise en place adéquate de cette protection, et de la réalisation des droits humains tels que le droit d’asile et le droit à la dignité humaine, nous formulons ci-dessous quelques points d’attention. Nous attirons l’attention sur les éventuels effets secondaires polarisants du conflit sur notre société belge.

Accès à la protection

Pour la première fois au niveau européen, la directive sur la protection temporaire a été activée. Elle prévoit un statut temporaire pour les Ukrainiens et pour les personnes bénéficiant d’une protection en Ukraine et leur famille nucléaire. La Belgique accordera cette protection temporaire en dehors du cadre de la procédure d’asile ordinaire. Un centre d’enregistrement spécifique, qui est également accessible pendant le week-end, a ouvert ses portes.

Il est toutefois regrettable que les États membres de l’UE n'aient pas adopté le groupe cible plus large pour cette protection temporaire, comme le proposait la Commission européenne. Par conséquent, les non-Ukrainiens qui résident légalement en Ukraine, mais qui ne peuvent pas retourner dans leur région ou leur pays dans des conditions sûres et durables, ne sont pas automatiquement couverts par la protection temporaire. Les États membres conservent cependant la possibilité de leur appliquer une autre procédure nationale. Nous demandons au gouvernement belge de garantir un accès effectif à la procédure d’asile pour ces personnes en n’appliquant pas les règles de Dublin, qui déterminent l’État membre responsable. Nous demandons également au gouvernement de fournir une assistance aux individus qui ont besoin d’aide pour retourner dans leur pays d'origine.

Les personnes qui se voient accorder la protection temporaire peuvent également opter pour une demande d’asile, comme le prévoit la directive. L’accès à la procédure d’asile et aux informations la concernant doit donc être garanti. L’importance de cette garantie va croissante au fur et à mesure que le conflit armé s’intensifie.

Enfin, le besoin de protection ne concerne pas exclusivement les personnes qui fuient le conflit. Les militants anti-guerre, les journalistes et les défenseurs des droits humains russes sont confrontés à une répression de plus en plus dure. Il apparait de plus en plus nécessaire qu’ils puissent également bénéficier de la protection internationale.

Soutien dans la société d'accueil

Une énorme vague de solidarité a été ressentie dans notre pays ces derniers jours. De nombreuses communes et de multiples citoyens ont montré leur volonté de participer à l’aide aux personnes fuyant le conflit en Ukraine. Nous nous réjouissons de cette vague de solidarité. En parallèle, nous tenons à souligner que l’accueil et le soutien de ces personnes demeurent en premier lieu la responsabilité du gouvernement. L’accueil par les citoyens soulève des obstacles pratiques et juridiques : à titre d’exemple, lorsque des personnes vivent sous le même toit, cela peut entrainer une modification du montant des prestations sociales qu’elles reçoivent. Il importe d’être attentif – et de remédier – aux éventuelles conséquences négatives de cette solidarité. Les autorités locales sont également confrontées à un défi majeur : gérer avec succès l’accueil de crise et l’attribution d’un logement décent et abordable alors que ceux-ci sont déjà en situation de pénurie, en particulier pour les groupes les plus vulnérables. Par conséquent, l’offre de logements devra être renforcée afin de répondre aux besoins.

Pour gérer correctement cette crise, il convient également de constituer des groupes de travail et des organes consultatifs entre les niveaux locaux, régionaux et fédéral, susceptibles de traiter des diverses questions pratiques et juridiques qui se posent à tous les niveaux de gouvernement. Nous nous réjouissons des initiatives qui ont déjà été prises à cette fin.

Une majorité de femmes

Nous insistons également sur la vulnérabilité spécifique que peuvent connaître les femmes et les femmes seules avec enfants. Il est nécessaire de prévoir des conditions (telles que le filtrage) et un contrôle de l’accueil des réfugié(e)s chez des particuliers et/ou un numéro d’urgence auquel les victimes peuvent s’adresser. Avant tout, ces femmes et leurs enfants ont besoin de sécurité, de logement et (éventuellement) de soutien psychologique. Outre s’occuper de leurs enfants, ces femmes doivent désormais obtenir des revenus pour leur famille et trouver seules un logement abordable. L’accès direct au marché du travail est prévu par la directive européenne sur la protection temporaire. En pratique, cela nécessitera un soutien supplémentaire. Plusieurs études ont déjà montré que le soutien financier reçu par les parents isolés est souvent insuffisant pour mener une vie conforme à la dignité humaine et leur permettre d’accéder à des emplois de qualité. L’orientation vers le marché du travail doit également se faire en fonction du niveau d’éducation des personnes concernées.

Éviter la polarisation

Les mots choisis sont aussi importants. Le gouvernement et ses représentants doivent éviter de contribuer à la polarisation par leur utilisation des termes et des choix politiques. Ils doivent utiliser un langage inclusif à l’égard de toutes les personnes en quête de protection. Nous insistons que le fait que toute personne fuyant son pays d’origine a le droit de demander une protection internationale dans notre pays, quelle que soit la région dont elle est originaire. Ce droit découle du droit international. En outre, toute personne a le droit d’être accueillie pendant l’examen de sa demande d’asile.

Les citoyens d’origine russe doivent également être protégés des discours de haine et des pratiques discriminatoires. Si les sanctions économiques et financières peuvent être une réaction nécessaire dans un conflit, les citoyens d’origine russe ne doivent pas être victimes de représailles contre leur personne ou de déclarations xénophobes dans notre pays.  

Gestion efficace des crises : modèle d'approche pour la crise de l'accueil en cours

L’attitude proactive et l’approche rapide adoptées par le gouvernement belge pour faire face à cette crise peuvent servir d’inspiration pour faire face à la crise (en cours) de l’accueil.

Ces derniers mois, la Belgique a (une fois de plus) été confrontée à une pénurie de places d’accueil, ce qui a obligé des demandeurs d’asile à dormir dans la rue. Récemment, des organisations de la société civile ont signalé que 300 personnes se sont vu refuser l’accueil en une seule journée. En pratique, le nombre de personnes pouvant introduire une demande de protection internationale en Belgique est déterminé par le nombre de places disponibles, ce qui est contraire au droit d’asile.

Outre le développement structurel du réseau d’accueil, auquel le gouvernement s’est attelé ces derniers mois, la détermination politique en réponse à la crise en Ukraine démontre qu’il est possible, en période d’arrivées accrues de réfugiés, de mettre en place des centres d’enregistrement supplémentaires et d’organiser un accueil d’urgence, afin de leur offrir un premier abri en toute dignité. Nous demandons donc au gouvernement belge de prendre un engagement similaire envers toutes les personnes réfugiées qui cherchent une protection dans notre pays.